La chimie verte

  • Auteurs : Romain Lods et Pauline Faucher
  • Temps de lecture estimé : 5 minutes

A l’heure actuelle, l’industrie chimique est omniprésente, et ce depuis de nombreuses années. Au cours du XXème siècle, le secteur de la chimie s’est élargi, aussi bien au niveau des constituants utilisés que de la production. De nouveaux matériaux et produits ont alors été créés : à la fin de la Première Guerre mondiale, les premiers engrais synthétiques font leur apparition, et les matières plastiques connaissent un essor à partir des années 1940 [1]. Cependant, l’industrie chimique est au cœur de nombreuses controverses. En effet, certains produits sont à l’origine de conséquences humaines et écologiques désastreuses dues à la persistance de polluants organiques. Ainsi, depuis quelques années, une alternative visant à atténuer les effets néfastes de la chimie industrielle classique se développe : la chimie verte. Qu’est-ce que la chimie verte ? Comment peut-elle permettre de limiter l’impact écologique de l’industrie chimique ? Pourquoi est-il nécessaire de trouver des alternatives aux procédés chimiques actuels ?

I – L’industrie chimique, à l’origine de désastres écologiques et humains

Afin de comprendre les motivations derrière le développement de nouvelles méthodes de synthèse chimique, il est nécessaire de s’attarder sur les impacts négatifs engendrés par l’utilisation de certains produits. Voici quelques exemples de produits chimiques dont l’utilisation a été à l’origine de nombreux débats.

La thalidomide

La thalidomide a été utilisée comme sédatif chez les femmes enceintes dans les années 1950. Commercialisée pour ses effets anti-vomitifs, cette substance s’est finalement avérée tératogène et fut ainsi à l’origine de milliers de malformations congénitales. Le nombre d’enfants nés avec des malformations a été estimé à 15 000 à travers le monde [2]. Des effets secondaires ont aussi été observés chez les personnes qui consommaient de la thalidomide. Ainsi, de nombreux cas de névrite périphérique (lésion nerveuse) ont été constatés, entraînant parfois des dommages irréversibles [3].

Le DDT

Le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) fut le premier insecticide moderne, développé à la fin des années 1930. Le DDT était reconnu comme efficace contre les moustiques transmettant le paludisme, mais aussi comme insecticide agricole. Cependant, les effets du DDT ne se limitent pas à cela. En effet, l’impact écologique du DDT est important : ce produit est nocif envers de nombreuses espèces, et se bio-amplifie le long de la chaîne alimentaire. Ainsi, les super prédateurs comme les rapaces ou les humains y sont fortement exposés [4]. Même si le DDT est interdit d’utilisation dans de nombreux pays depuis les années 1970, sa persistance fait que l’on en retrouve encore des traces dans les sols. De plus, même si un lien direct entre le DDT et l’apparition d’un cancer n’a pas été prouvé, l’OMS a classé le DDT comme potentiellement cancérogène [5], et certaines études suggèrent que le DDT pourrait être un facteur de risque pour Alzheimer [6].

Le plastique

Un des produits de l’industrie chimique dont l’impact écologique est conséquent est répandu dans tous les secteurs d’activité et à travers le monde entier : le plastique. Parmi les utilisations du plastique, la plus problématique est la production d’emballages à usage unique, dont l’ampleur est énorme. Depuis 2015, 7 milliards de tonnes d’emballages plastiques ont été produits. Parmi tous ces déchets, seuls 9% ont été recyclés. Aujourd’hui, 5000 milliards de morceaux de plastiques flottent dans les océans, exposant ainsi plus de 700 espèces marines différentes à l’ingestion de particules plastiques. De plus, la durée de dégradation du plastique est estimée de 450 ans à l’infini, ce qui entraîne de nombreuses problématiques quant au devenir des ces déchets dont la production est exponentielle [7].

Ces quelques exemples ne sont que l’ombre du large spectre de production balayé par le secteur de l’industrie chimique. De nombreuses autres substances sont remises en question en raison de leur bilan environnemental, ce qui suggère la nécessité de trouver des alternatives à leur production.

II – la chimie verte : la fin de la conception de substances nocives ?

En 1991, l’”U.S. Environmental Protection Agency” donne une définition de ce qu’on appelle “chimie verte” : “La chimie verte a pour but de concevoir et de développer des produits et des procédés chimiques permettant de réduire ou d’éliminer l’utilisation et la synthèse de substances dangereuses.[8]. La chimie verte repose sur 12 principes établis par deux chimistes américains, Anastas et Warner. Ces 12 principes ont permis de populariser le concept de la chimie verte, en facilitant sa mise en place lors de synthèses chimiques. Les 12 principes sont :

  • Prévention des déchets : il vaut mieux limiter la production de déchets plutôt que de chercher à s’en débarrasser par la suite ;
  • Economie d’atomes : on cherche à maximiser le nombre d’atomes des réactifs qui composent le produit final ;
  • Conception de méthodes de synthèse moins dangereuses : les substances produites et utilisées lors des synthèses doivent être inoffensives pour l’homme et pour l’environnement dans la mesure du possible ;
  • Conception de produits chimiques plus sûrs : les produits finaux synthétisés doivent aussi être inoffensifs ;
  • Solvants et auxiliaires moins polluants : les auxiliaires de synthèse (solvants, agents de séparation…) doivent être évités ou inoffensifs lorsqu’ils sont essentiels ;
  • Recherche du rendement énergétique : l’impact énergétique doit être minimisé, on favorise les réactions à température et pression ambiantes ;
  • Utilisation de ressources renouvelables : les produits fossiles sont à éviter ;
  • Réduction du nombre de dérivés : l’utilisation de protecteurs/déprotecteurs de fonctions doit être limitée car elle entraîne la production de dérivés, ce qui augmente le coût énergétique et le nombre de déchets produits ;
  • Catalyse : on favorise les catalyseurs naturels aux procédés stoechiométriques ;
  • Conception de produits en vue de leur dégradation : on favorise la synthèse de produits biodégradables ;
  • Observation en temps réel en vue de prévenir la pollution : les substances synthétisées doivent être contrôlées efficacement et en continu, notamment grâce aux données recueillies par satellites ;
  • Une chimie fondamentalement plus fiable : les quantités et l’état physique des substances doivent être choisis de manière à éviter tout danger.

III – Bilan, perspectives d’évolution et défis

La chimie verte propose de traiter les problèmes à la source en développant des processus sans dangers contrairement aux activités chimiques industrielles qui se concentrent sur la minimisation de l’exposition aux dangers en contrôlant les substances toxiques aux différents stades du procédé [8].

Afin de pouvoir remplacer la chimie “industrielle”, la chimie verte devra faire face à de nombreux défis tels que :

Un défi technologique

L’illustration emblématique de ce domaine est la catalyse. En effet, lors de ces réactions catalytiques, le catalyseur accélère la vitesse de réaction en abaissant le seuil d’énergie nécessaire pour permettre à la réaction de se produire, économisant ainsi de l’énergie.

Un défi industriel

L’épuisement des matières premières issues du pétrole ainsi que l’obligation de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre sera l’axe principal de réflexion au sein de l’industrie.

Un défi économique

Un procédé vert ne remplacera un procédé traditionnel polluant que si son retour sur l’investissement est suffisamment rapide pour attirer les dirigeants et les investisseurs. Il faut pour cela compenser et surpasser les coûts de démantèlement de l’ancien procédé et de mise en place du nouveau le plus rapidement possible.

Un défi sociétal

De nos jours, les préoccupations environnementales s’installent de plus en plus dans les mentalités. Cela s’accompagne de certaines attentes de la société en termes de santé, de non-toxicité des produits consommés, de respect de l’environnement, d’éco-responsabilité des entreprises… 

Du côté des entreprises, ces attentes sont aussi demandées mais doivent s’allier avec les exigences de compétitivité. Pour être acceptée, la chimie verte doit tout d’abord être comprise, c’est pourquoi la sensibilisation et la communication restent des facteurs clés de réussite [9].

En conclusion, la mise en place d’une chimie verte est en cours mais malheureusement, les changements que cela implique sont réalisés trop lentement et naïvement d’après Claude Grison, chercheuse et chimiste française renommée. Elle met en avant un obstacle majeur que la chimie va devoir dépasser pour devenir vraiment verte « La transition écologique ne peut être abordée de façon segmentaire, alerte-t-elle. Quand on dit vouloir respecter l’environnement, encore faut-il connaître la nature afin d’anticiper l’impact réel d’une réaction chimique. » et déplore une discipline trop cloisonnée à ses molécules et procédés : « Notre recherche ne peut s’inscrire dans une transition écologique que si elle est beaucoup plus ouverte vers les autres disciplines, en particulier vers le milieu de l’écologie scientifique. Si la transition est abordée d’une façon trop naïve, la chimie sera incapable d’affirmer qu’elle a réduit son empreinte environnementale. » [10]

Le domaine de la chimie verte est un domaine sur lequel AgroParisTech Services Études pourra vous accompagner, notamment en vous aidant à réaliser des études de marchés mais aussi sur l’implantation des filières.

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